Russie: la campagne d'inspection des ONG se poursuit, Amnesty visée
MOSCOU — Les autorités russes poursuivaient lundi une vaste campagne de vérification des ONG, des enquêteurs faisant notamment irruption à l'antenne moscovite d'Amnesty International, qui avait dénoncé vendredi de nouvelles pressions sur la société civile.
Quelques jours après une inspection dans les locaux de la principale ONG russe de défense des droits de l'homme Memorial, des représentants du parquet et du fisc se sont cette fois-ci présentés dans la matinée dans les locaux d'Amnesty International, exigeant en particulier des copies des statuts de l'ONG, a indiqué à l'AFP son responsable, Sergueï Nikitine.
Peu après leur arrivée, des journalistes de la télévision pro-Kremlin NTV, spécialisée dans la production d'émissions dénonçant l'opposition et les militants des droits de l'homme, ont aussi tenté d'entrer dans les locaux d'Amnesty, mais ils ont été éconduits.
Amnesty International a protesté dans un communiqué contre l'opération en cours dans son antenne à Moscou, estimant que "la récente vague d'inspections a été menée de manière à discréditer délibérément les ONG aux yeux de la population".
Des contrôles ont par ailleurs été effectués dans une série d'autres ONG, dont l'association Pour les droits de l'homme et deux structures qui y sont affiliées - là encore en présence de journalistes de NTV- ou encore le fonds Verdict public, spécialisé dans la défense des intérêts des personnes victimes des forces de l'ordre.
Plus d'une centaine d'ONG, à Moscou et en région, ont déjà été contrôlées de cette manière ces derniers temps, selon un des responsables de Memorial, Oleg Orlov.
Dans un communiqué, l'association Pour les droits de l'homme, dirigée par le militant Lev Ponomarev, a estimé que l'inspection menée dans ses locaux était "illégale", soulignant avoir déjà subi récemment un contrôle de la part du ministère de la Justice.
Mais un porte-parole de ce ministère, cité par Interfax, a expliqué que ces contrôles étaient liés à une loi entrée en vigueur fin 2012 qui oblige les ONG bénéficiant d'un financement étranger et ayant une activité politique à se faire inscrire sur un registre "d'agents de l'étranger" et à se présenter en tant que tels dans toute activité publique.
Le terme d'"agent de l'étranger" était appliqué aux opposants réels ou supposés à l'époque stalinienne, qui étaient alors fusillés ou envoyés dans les camps. Il était aussi employé par les autorités soviétiques dans les années 70 et 80 pour accuser les dissidents d'être à la solde de l'Occident.
De fait, plusieurs associations, dont Memorial, refusent de se faire enregistrer en tant que tel.
Or, selon la nouvelle loi, les responsables d'ONG refusant de s'inscrire sur ce registre sont passibles d'une peine allant jusqu'à deux ans de camp, si les autorités considèrent ces associations comme faisant partie de cette catégorie.
Des analystes ont perçu cette nouvelle législation comme une réponse aux critiques émises par les ONG sur le déroulement des élections législatives de décembre et de la présidentielle de mars remportée par Vladimir Poutine.
Début février, une dizaine d'organisations ont déposé une requête devant la Cour européenne des droits de l'homme, estimant que la loi contredisait la Constitution russe et le droit international.
Cette vague d'inspections sans précédent a soulevé dès vendredi de vives réactions.
Le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, s'est dit " très préoccupé par cette action contre la société civile et les organisations non gouvernementales en Russie", tandis que la Commissaire européenne chargée des Affaires intérieures, Cecilia Malmström, a appelé à mettre fin à ce "harcèlement" effectué "sous de vagues justifications légales".
Dans un communiqué conjoint avec Human Rights Watch (HRW), publié vendredi, Amnesty International a de son côté dénoncé "de nouvelles pressions sur la société civile", et condamné la présence des journalistes de NTV lors de ces inspections, pourtant censées être inopinées.
"La loi sur les agents de l'étranger était dès le début destinée à diaboliser les associations en Russie", a déclaré Hugh Williamson, directeur pour l'Europe et l'Asie centrale à HRW.
"C'est désolant, mais malheureusement peu surprenant, que NTV participe à cet effort pour discréditer les voix indépendantes", a-t-il ajouté.
Source AFP