Aymeric Elluin* est chargé de campagne à Amnesty International France. Il est aux Nations unies pour le traité sur le commerce des armes. Il raconte les négociations en cours. Nous voilà au troisième jour de la conférence internationale sur le traité sur le commerce des armes. Une routine bien rôdée et efficace se met en place au sein de la délégation d’Amnesty International.
Lever à 06h00 en vue de la réunion de préparation de la journée avec toute la délégation qui a lieu à 08h00. Chacun échange les informations importantes du moment en termes de lobbying. Les objectifs de la journée sont fixés. Un point médias, réseaux sociaux et événementiel est également fait. Puis nous nous dispersons afin de rejoindre au plus vite le siège des Nations unies.
Il s’agit, avant le début des travaux en session plénière à 10h00, de rencontrer dès que possible les délégués des Etats que chacun suit en fonction d’une répartition par zone géographique : dans les couloirs, autour d’un café… Nous nous affairons. Notre délégation est constituée de représentants des quatre coins du monde (Fédération de Russie, Afrique du Sud, Corée du Sud, Mexique, Maroc, Sénégal,…). Nous parlons le plus souvent en anglais mais beaucoup parlent aussi français ou espagnol.
19 mars, journée intense, la salle est pleine, c'est bon signe.
© Aymeric Elluin / Amnesty International
De mon côté, j’ai pour mission de suivre la France mais aussi un certain nombre de pays d’Europe (Luxembourg, Monaco…) et du Pacifique (Palau, Tonga, Tuvalu…).La Coréedu Nord fait également partie de ma liste… mais les tentatives d’approche laissent peu d’espoir. Le pays veut introduire la question des armes nucléaires. C’est dire le fossé qui nous sépare !
Depuis lundi, nous avons le sentiment que les négociations en réunion plénière n’ont pas encore commencé. Aucune voie médiane, aucun terrain d’entente ne se dégage. L’heure est d’abord à l’affirmation des oppositions. Les Etats favorables à une amélioration du projet de texte existant déploient toute leur énergie. Ils haussent la voix pour assourdir les plus sceptiques. 69 Etats ont ainsi hier exprimé leur souhait de voir les munitions pleinement prises en compte dans le traité. Réponse au refus catégorique des Etats-Unis qu’il en soit ainsi. 41 autres se sont exprimés pour que le développement socio- économique soit également évoqué.
De son côté, pour tenter de peser dans les négociations, tous les moyens sont mis en œuvre par Amnesty International. Salil Shetty, le Secrétaire général du mouvement, a fait le déplacement pour la semaine. Au programme : la présentation mardi en conférence de presse aux Nations unies du nouveau rapport d’Amnesty sur les transferts irresponsables d’armes àla Côted’Ivoire effectués sur la dernière décennie. Il est accompagné de Brian Wood, responsable de la campagne Contrôlez les armes et de Salvatore Saguès, chercheur sur l’Afrique de l’Ouest.
Le rapport intitulé «
Côte d’Ivoire. Les effets destructeurs de la prolifération des armes et de leur usage incontrôlé » explique comment une poignée d’États et un réseau multinational de trafiquants d’armes ont fourni armes et munitions à toutes les parties au conflit qui se sont rendus coupables de crimes de guerre et de nombreuses violations des droits humains, notamment de terribles violences contre des femmes et des jeunes filles.
Brian Wood et Salvatore Saguès présentent le rapport sur les armes
en Côte d'Ivoire. (c) Aymeric Elluin / Amnesty International
Parallèlement, Amnesty International organisait avec les représentants du Danemark un événement portant sur la nécessité de contrôler le transport d’armes, notamment par voie maritime. Pour Salil Shetty s’en suit une série d’interview aves les médias. Puis diverses réunions avec certaines délégations, pour les inciter une dernière fois à améliorer le projet de texte de traité en cours de discussion pour protéger efficacement les populations civiles. Il doit ainsi rencontrer la délégation française, l’un des rares importants exportateurs d’armes à avoir une démarche constructive. Il faut l’encourager à consolider sa position.
Autre arme du plaidoyer : les réceptions pour poursuivre dans un cade informel les échanges de la journée, avec les délégués étatiques. L’une d’elle s’est tenue mardi soir où nous avons retrouvé un certain nombre de représentants des Etats autour d’un verre. La veille au soir c’est la coalition « Contrôlez les armes » qui organisait une telle rencontre en présence du ministre finlandais des affaire étrangères, l’un des pays pères du processus en cours actuellement à l’ONU. On comptait aussi avec l’acteur engagé Djimoun Honsou bien connu pour son rôle dans le film Blood Diamond qu’Amnesty International a soutenu.
C’est un ballet permanent d’exercice de plaidoyer. Comme au café Vienna de l’ONU, haut lieu du genre. Tout ce travail, nous saurons s’il paiera vendredi soir avec la présentation d’un projet de traité amendé. Espérons que celui-ci soit positif à ce moment là. Je viens de parler au délégué dela Chineet il m’indiquait qu’il n’avait pas reçu de nouvelles directives de Pékin…Autrement dit si l’Union Européenne a le droit d’adhérer au traité,la Chinedemandera la levée de l’embargo sur les armes qui la concerne ou ne s’engagera pas sur le traité… Espérons que la France, dont les positions commencent à monter en puissance, puisse peser dans les négociations.
*Aymeric Elluin est chargé de campagne Armes et Impunité à Amnesty International France. Il est spécialisé en droit international du désarmement et la maîtrise des armements. Une grande partie de son travail est centré sur la campagne « Contrôlez les armes » que mène Amnesty International depuis 2003 pour l’adoption d’un traité international sur le commerce des armes et les sujets nationaux connexes (transparence, courtage, investissements responsables...).
Sources AFP & Mediapart