Tandis que l’Europe prend enfin la mesure du drame et que la Jordanie et le Liban suffoquent face au nombre de réfugiés, le reste du monde fait la sourde oreille.Un simple coup d’œil sur les chiffres montre que, même si le pape a appelé dimanche chaque paroisse du continent à accueillir une famille de réfugiés, l’Europe n'y arrivera pas seule. 365 000 migrants et réfugiés sont arrivés depuis le début de l’année en traversant la Méditerranée et 2 800 en sont morts. L’accueil organisé en Allemagne pourrait créer un "appel d’air" chez les Syriens. Que fait le reste de la planète ? Pas grand-chose. "Avec 4 000 arrivées de réfugiés par jour actuellement en Europe, le système est devenu chaotique", a expliqué le chef du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), Antonio Guterres, pour qui il s’agit certes d’"un problème très sérieux, mais, à l’échelle de la planète, ce n’est pas une des plus grandes crises". S’ils organisent un minimum d’entraide, les pays riches peuvent la gérer, surtout que 86% des réfugiés se trouvent dans les pays pauvres. Encore faut-il une volonté politique et elle fait cruellement défaut.
Les Etats-Unis en retrait"Le monde entier doit travailler ensemble. Pas juste un ou deux pays, pas juste l’Europe ou les Etats-Unis", a reconnu vendredi Hillary Clinton, candidate pour la présidentielle de 2016. Sauf que son collègue démocrate Barack Obama reste très en retrait de ce souhait : sur 4 millions de réfugiés syriens, les Etats-Unis n’ont accueilli que 1 500 personnes en quatre ans de guerre. Même si ce nombre doit atteindre 1 800 fin septembre, avant de tourner entre 5 000 et 8 000 d’ici l’automne 2016, cela représente une misère. Et Washington reste ambigu : oui, le pays "pourrait faire beaucoup plus pour protéger ces populations", a reconnu le secrétaire d’Etat, John Kerry, au Huffington Post. Mais, non, il "ne parle pas de prendre plus de réfugiés de manière permanente".
Car selon un porte-parole de la diplomatie, la "première priorité est de protéger la sacro sainte sécurité nationale des Etats-Unis et de leurs ressortissants" : les Américains craignent que, dans le lot de demandeurs d’asile, se trouvent de futurs terroristes. Ils n’ouvrent donc le robinet qu’au compte-gouttes, ce qu’a regretté vendredi l’ex-ministre britannique des Affaires étrangères David Miliband, président de l’International Rescue Committee (IRC), organisation qui vient en aide aux personnes victimes de persécutions : "Pour la Syrie, je crains que "les efforts" ne soient pas à la hauteur."
Le Canada, L’Australie et la Nouvelle-Zélande trop radinsLundi, la Nouvelle-Zélande (4,5 millions d’habitants) a annoncé qu’elle accueillera 750 Syriens sur trois ans. Le gouvernement conservateur en prend 600 d’urgence (au lieu de 150 par an jusqu’ici). Certes, Wellington augmente un quota inchangé depuis trente ans, mais l’effort reste modeste.
Même frilosité en Australie, où l’on mène une féroce politique anti-immigration : le pays accueillera plus de Syriens, a expliqué dimanche le Premier ministre conservateur, Tony Abbott, mais sans relever son quota annuel global (13 750). L’opposition travailliste réclame qu’on accueille 10 000 personnes d’urgence, rappelant qu’en 1999, l’Australie a accepté 4 000 réfugiés du Kosovo.
Le débat est également vivace au Canada, traumatisé par le destin tragique du petit Aylan, dont la famille avait demandé asile dans ce pays. Mais le gouvernement conservateur ne lâche que modérément la bride. Il propose d’accueillir 10 000 Syriens de plus d’ici fin 2017. Insuffisant pour l’opposition. La solution viendra peut-être des maires de Toronto, Ottawa ou Montréal : ils veulent agir directement dans leurs villes pour augmenter l’accueil. La province du Québec devrait accueillir 3.650 Syriens d’ici décembre.
Les pays du Golfe et l’Iran aux abonnés absentsLes pétromonarchies donnent des milliards de dollars pour financer les camps de réfugiés dans d’autres pays (Jordanie, Liban, Turquie) et des actions humanitaires via le Croissant-Rouge. Mais aucune ne bouge le petit doigt pour en accueillir sur leur sol, notamment pour des raisons sécuritaires. Rien n’indique cependant que des Syriens aient envie de s’y installer. "Se répartir la tâche n’a aucune signification dans le Golfe, et l’approche qatarienne, saoudienne et des Emirats a consisté à signer un chèque pour que d’autres s’en occupent", résume, dans le New York Times, Sarah Leah Whitson, de Human Rights Watch. Qui ajoute : "Maintenant, tout le monde dit que ce n’est pas équitable."
Mais comment changer ? Certains observateurs, dans le Golfe, renvoient la patate chaude vers la Russie et l’Iran, qui ne prennent pas de réfugiés alors qu’ils sont les principaux soutiens de Bachar al-Assad - et donc à l’origine, au moins indirectement, du flot qui fuit le régime.
En Jordanie et au Liban, des camps en crise et une aide réduiteLes réfugiés syriens se trouvent essentiellement en Turquie (2 millions), au Liban, en Jordanie et en Irak. Ces pays ne s’en sortent plus. En Jordanie (600 000 Syriens selon le HCR, 1,4 million selon Amman), l’aide du Programme alimentaire mondial (PAM) vient d’être coupée, faute de fonds, à 230.000 Syriens vivant hors des camps. Au Liban (1,1 million de réfugiés syriens), les coupons alimentaires ont déjà été réduits de moitié, passant de 27 à 13,5 dollars par mois. Le PAM a aussi diminué d’un tiers les bénéficiaires de ses coupons, passés de 2,1 millions de réfugiés à 1,4 million.
Le PAM a besoin de 236 millions de dollars d’ici fin novembre pour aider les Syriens dans leur pays ou réfugiés à proximité. Le HCR tend sa sébile et propose une solution originale : dans une pub parue lundi dans la presse italienne, il demande aux millionnaires de donner chacun 15 000 euros. "En Italie, 219 000 personnes possèdent un patrimoine supérieur à 1 million d’euros. Si tu lis cet appel et que tu en fais partie, sache qu’avec 15 000 euros, nous pouvons fournir à 10 familles de réfugiés syriens en Jordanie les moyens pour vivre dignement pendant un an."
Source Libération